La ruine du management par la post-vérité

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10 minutes

Ce que vous voyez est BLEU ! Ce que vous regardez est BLEU !

Si vous ne voyez pas du BLEU non seulement vous faites partie des menteurs,

Mais si vous ne voyez pas du BLEU, vous êtes une personne DANGEREUSE pour (au choix la République, la France, la Nature, le Peuple, etc…)

Et si vous ne voyez pas du BLEU et que vous êtes une personne DANGEREUSE, non seulement je ne parlerai pas avec vous, car vous êtes un ENNEMI ABSOLU, mais surtout je vous combattrai pour votre DISPARITION (symbolique, sociale, réelle), votre ANNIHILATION car tous les moyens sont bons et légitimes pour vous ELIMINER.

 

Vous voulez comprendre en 10 minutes chrono comment ce que l’on appelle le « régime de la post-vérité » se met en place dans votre vie personnelle et professionnelle, ce que c’est, d’où cela vient, les conséquences dans votre vie quotidienne et comment en sortir ? Alors prenez le temps de lire notre article… La question finale sera de savoir si cette dérive sociétale s'est déjà installée dans la vie des entreprises ?...

 

 

Qu’est-ce que le « régime de la post-vérité » ?

Bien plus qu’un mensonge. Le mensonge consiste à ne pas dire la « vérité ».

La « vérité » peut se définir comme l’adéquation entre ce qui se présente à nous (par les sens et la raison) et ce que l’on peut en dire.

La vérité se construit non seulement à partir de soi entre ses perceptions et sa raison, mais aussi (et surtout) dans les échanges et le partage avec d’autres personnes avec la logique suivante : vois-tu, ressens-tu, comprends-tu la même chose que moi ? Que percevons-nous en commun et quelles sont les différences ? D’où viennent nos différences ou nos divergences ?

Autrement dit la vérité est à la fois un travail et une affirmation personnelle, mais aussi un échange partagé qui fait progresser vers une meilleure appréhension et compréhension de ce qui se présente à nous, pour mieux le connaître.

 

Le « régime de la post-vérité » consiste non seulement à MENTIR CONSCIEMMENT (je sais pertinemment que ce que je dis et affirme ne correspond en rien à ce qui se présente à moi et aux autres). Il ne s’agit pas ici de l’ILLUSION (je suis « victime » inconsciemment d’une mauvaise perception de la réalité, mais cela n’est pas de mon fait actif. Je le subis), mais bel et bien d’un MENSONGE PLEIN et EN PLEINE CONSCIENCE. Il ne s’agit pas non plus du DÉNI, qui relève d’une dimension psychique qui vient là aussi contre ma volonté et ma lucidité « déformer » ou « remplace » ce qui se présente à moi pour le masquer ou  remplacer par quelque chose qui soit « acceptable », « tolérable » à mon psychisme et à ma conscience.

Il y a donc un MENSONGE CONSCIENT et AFFIRMÉ (je sais que je mens quand je mens), mais surtout et au-delà de mon mensonge, je veux affirmer ma TOUTE-PUISSANCE en empêchant qui que ce soit d’autre de dire autre chose que ce que j’affirme. Ce qui se met en place est une dynamique de DESTRUCTION TOTALE de toute CONTRADICTION, non seulement dans le dialogue, l’échange, mais aussi et surtout dans les personnes qui pourraient ou voudraient contredire mes affirmations. Il serait bon ici, par exemple de lire Carl Schmitt dans son ouvrage « la notion de politique » qui traite précisément de la question du rapport à l’ennemi. En effet, l’adversaire est une personne avec laquelle je ne suis pas d’accord, mais je vais discuter, dialoguer, échanger avec cette personne peut-être pour la convaincre, mais aussi et surtout pour comprendre son point de vue (comprendre n’est pas accepter et partager) car son point de vue différent peut (peut-être) venir enrichir ma pensée, la compléter, la faire évoluer, etc…

Or dans le « régime de la post-vérité », non seulement je ne discute pas, je n’échange pas, je ne dialogue pas, mais je vais réduire « l’autre » à quelque chose et non à quelqu’un; je vais lui ôter, lui retirer sa qualité d’être humain pour en faire une horreur, une aberration, une infamie avec laquelle on ne discute pas, mais qui doit disparaître (au mieux symboliquement, au pire réellement et physiquement).

Autrement dit mon MENSONGE n’a pas simplement pour but de DÉTRUIRE LA VÉRITÉ, mais surtout de DÉTRUIRE ET ÉLIMINER toutes les personnes qui ne relaient pas mes mensonges.

 

Pour synthétiser, le « régime de la post-vérité » n’a pas pour but de ventiler des mensonges à tout bout de champ, mais elle est un outil de POUVOIR pour DÉTRUIRE et ÉLIMINER toute DIFFÉRENCE et OPPOSITION.

 

 

Les conditions d’exercice du régime de la post-vérité

Il existe des conditions claires et spécifiques pour que le « régime de la post-vérité » se mette en place de manière globale :

  • Être en situation de POUVOIR appuyé sur un système de relais médiatique puissant de PROPAGATION DE L’INFORMATION (en l’espèce de désinformation puisqu’il s’agit de relayer ce qui n’est pas la vérité).

  • Pouvoir

  • Contre-pouvoir (lobbys, oppositions, clans, etc…)

  • Contrôle social

  • Volonté tyrannique (cf. Aristote), totalisante voire totalitaire

  • Une capacité de coercition, de contraintes pour agir sur les individus (de manière violente par le rapport de force et la brutalité, ou de manière insidieuse par le contrôle social, l’exclusion, etc…)

  • Une volonté réelle d’éliminer toute personne ne partageant pas façon de voir

 

 

Comment est-ce possible d’en arriver là ?

Très (et trop) synthétiquement : 

  1. Déculturation massive (destruction de l’éducation en tant que domaine de savoirs et capacité à réfléchir)

  2. Destruction de la raison (cf. Principe de non contradiction non respecté)

  3. Destruction et falsification du langage et des mots (cf. 1984)

  4. Destruction de la réflexion (partir de ce que l’on voit pour le décrire, le comprendre, le connaître)

  5. Destruction de la pensée (capacité de construire une pensée personnelle, d’élaborer des théories, d’argumenter, d’étayer un propos) et de s’élever spirituellement (conscience, liberté, etc…)

     

Historiquement : l’invention du totalitarisme par Lénine et sa mise en pratique par la révolution bolchévique de 1917 en Russie grâce à Trotsky et Staline, que l’on retrouvera avec la Chine de Mao et le Cambodge de Pol-Pot (goulags pour opérer un génocide des opposants, camps de rééducation, milices omniprésentes, système de dénonciation des parents par les enfants, etc…). Le modèle communiste, dans sa version marxiste totalitaire générera par réaction le National-Socialisme d’Hitler qui fera un « copier-coller » macabre de tout le système concentrationnaire déployé et mis en place par les bolchéviques, avec un changement d’ennemis : les « capitalistes » pour le communisme, les juifs pour le national-socialisme. Changement de paradigme, mais système totalitaire totalement identique et si bien étudié et dénoncé par Annah Arendt.

 

 

Les conséquences : la destruction absolue de l’individualité et non de l’individu

Dans un régime de post-vérité, ce n’est pas seulement l’individu qui est visé, mais bien l’essence même de ce qui fait de nous des êtres uniques : notre individualité. La nuance est subtile mais cruciale. Tandis que l’individu peut physiquement survivre sous un régime oppressif, son individualité - sa capacité à penser, à s’exprimer librement, à exercer son jugement critique et à maintenir une intégrité personnelle - est systématiquement érodée. Voici comment ce processus se déroule :

 

1. La conformité forcée

Les régimes de post-vérité imposent une conformité idéologique. Toute déviation de la ligne officielle est non seulement découragée mais activement réprimée. Cela conduit à une culture de la peur, où les individus sont poussés à se conformer par crainte des répercussions. Cette pression sociale réduit progressivement la capacité des personnes à exprimer leurs pensées et opinions véritables.

 

2. La manipulation de la réalité

La manipulation systématique de l’information et des faits engendre une confusion généralisée. Les individus perdent leurs repères, incapables de distinguer le vrai du faux. Cette distorsion de la réalité affaiblit leur jugement critique et leur autonomie intellectuelle, les rendant plus vulnérables à l’endoctrinement et à la manipulation.

 

3. L’érosion de la pensée critique

En contrôlant l’éducation et les médias, les régimes de post-vérité s’attaquent directement à la capacité de réflexion critique. Les compétences analytiques et le scepticisme sain sont dévalorisés, tandis que la répétition de slogans simplistes et la pensée binaire sont encouragées. Les individus deviennent des réceptacles passifs de la propagande, incapables de remettre en question les narratifs imposés.

 

4. La réduction de l’autonomie personnelle

L’autonomie personnelle est progressivement remplacée par une obéissance aveugle. Les décisions personnelles, qu’elles soient d’ordre moral, éthique ou pratique, sont de plus en plus dictées par les directives du régime. Cette subordination constante à une autorité extérieure réduit la capacité des individus à agir en fonction de leurs propres valeurs et convictions.

 

5. La déshumanisation des « dissidents »

Le régime de post-vérité ne se contente pas de réprimer la dissidence ; il déshumanise les dissidents. Ceux qui osent contester la narrative officielle sont stigmatisés, ostracisés, voire persécutés. Cette déshumanisation sert à justifier leur élimination sociale, et parfois physique, en les présentant comme des ennemis de la société plutôt que comme des êtres humains ayant des opinions divergentes.

 

6. L’uniformisation de la culture

La diversité culturelle et intellectuelle est perçue comme une menace. Le régime de post-vérité promeut une culture monolithique, où seules les idées et valeurs approuvées sont tolérées. Cette uniformisation écrase la créativité et l’innovation, car toute forme d’expression qui sort du cadre autorisé est censurée.

 

7. L’isolation sociale

Les individus sont encouragés à se méfier les uns des autres. La surveillance et la délation sont courantes, créant un climat de suspicion permanente. Cette isolation sociale empêche les gens de former des liens de solidarité et de soutien mutuel, les laissant plus vulnérables à la manipulation et au contrôle.

 

8. La fragmentation de l’identité

Enfin, la post-vérité fragmente l’identité personnelle. Les individus sont constamment confrontés à des versions contradictoires de la réalité, ce qui peut entraîner une dissonance cognitive. Incapables de maintenir une vision cohérente du monde et d’eux-mêmes, ils se retrouvent psychologiquement désorientés et aliénés de leur propre identité.

 

 

La destruction de l’individualité est une stratégie délibérée des régimes de post-vérité pour maintenir le contrôle total. En anéantissant la capacité des individus à penser, à juger et à agir de manière autonome, ces régimes réduisent la société à une masse homogène et docile, facile à manipuler. Il est crucial de reconnaître ces dynamiques et de s’y opposer activement pour préserver notre humanité et notre liberté.

 

 

EN GUISE DE CONCLUSION

Le régime de la post-vérité représente un défi colossal pour nos sociétés modernes, impactant tant notre vie personnelle que professionnelle. En s’attaquant à la vérité, il cherche non seulement à manipuler les faits, mais aussi à détruire toute forme de contradiction et d’opposition. Ce régime repose sur le mensonge conscient et l’élimination des voix dissidentes, instaurant un climat de coercition et de contrôle social qui annihile toute diversité de pensée.

 

Pour les leaders et les managers, comprendre les mécanismes de la post-vérité est essentiel. Il ne suffit pas de reconnaître les mensonges ; il faut également s’engager activement contre eux. La clé réside dans la promotion de la transparence, du dialogue et de l’inclusion. Il est impératif de créer un environnement où les échanges honnêtes et les débats constructifs sont encouragés et valorisés.

 

Comme l’a souligné Alexandre Soljénitsyne, dans cette citation aussi profonde que puissante :

« Et c’est là que se trouve la clef de notre délivrance ; le refus de la participer personnellement au mensonge ! Qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas par moi ! »

notre délivrance réside dans le refus de participer au mensonge. En nous tenant fermement à cette résolution, nous pouvons préserver notre intégrité et contribuer à bâtir une société où la vérité et le respect de l’individualité priment. Les managers ont un rôle crucial à jouer dans cette lutte, en servant de modèles de probité et en cultivant des équipes fondées sur la confiance et la vérité.

La question initiale était : "la dérive de la post-vérité qui se met en place dans la société actuelle, est-elle en train d'envahir la sphère de l'entreprise ?"...

En fin de compte, c’est en défendant ardemment la vérité et en combattant activement les mensonges que nous pourrons résister à la ruine du management et bâtir un avenir meilleur pour tous.

 


Jean-Olivier ALLEGRE

 

En lien avec cet article :

Une réflexion sur la dictature :  https://www.parrhesia.fr/blog/michel-onfray-theorie-dictature

Une analyse de la tyrannie chez Aristote : https://www.parrhesia.fr/blog/aristote-tyran-et-management

 

Tags
Vérité, pouvoir, management

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