Manager le travail ?

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Il semble aujourd’hui que le management se concentre sur les personnes (« le management des Hommes »), sur les Organisations, les Procédures, l’efficience, etc…

S’il est une dimension de la vie de l’entreprise qui semble avoir disparue des écrans radar, c’est bien celle de « travail ». Et pourtant…

Le Travail n’est-il pas au cœur même de l’entreprise, une raison d’être partagée aussi bien par les dirigeants que les opérateurs, les managers que les salariés.

Il faut bien le reconnaître, le Travail a mauvaise presse, et cela ne date pas d’aujourd’hui!

Le mot « travail » va puiser son étymologie dans le mot latin « tripalium », qui était un instrument de torture… Il s’agissait, au départ, d’un appareil formé de trois pieux, utilisé à l’époque par les romains pour immobiliser les chevaux rétifs afin de les ferrer ou les soigner, qui était devenu un instrument de torture pour punir les esclaves.
Parler de « travail », c’est donc faire référence à un instrument de supplice.

Poursuivons notre enquête… Si l’on jette un coup d’œil au Dictionnaire historique de la langue française, on trouvera également la référence au « trabicula », petite travée, poutre, désignant un chevalet de torture : (trabiculare signifie  » torturer  » et « travailler », au sens, de « faire souffrir »).

Cette acception du mot va s’appliquer aux suppliciés, mais aussi… aux femmes en proies aux douleurs de l’enfantement… Ainsi qu’aux agonisants! L’enfantement est un « travail » non pas parce qu’il donne la vie, mais en raison des douleurs de l’accouchement, au cours duquel on devait – si elles étaient trop intenses, immobiliser la mère!

Donc, c’est entendu, le « travail » désignait autrefois l’état d’une personne qui souffre! Et ensuite? il a été étendu aux occupations nécessitant des efforts pénibles, puis à toutes les activités de production.

Et cela remonte même encore plus loin dans nos racines historiques, puisqu’on trouvera dans la Bible elle-même le lien avec le châtiment, lorsqu’Adam et Eve, ayant goûté au fruit défendu font face à la sentence définitive de Dieu: « Tu travailleras à la sueur de ton front » (ça c’est pour Adam!) et « Tu enfanteras dans la douleur » (ça, c’est pour Eve). Si l’on était taquin, nous pourrions dire que le Travail est la punition divine des hommes, et l’enfantement, celle des femmes. Forcément, les femmes qui travaillent et qui enfantent sont victimes d’une double punition…

Bref, dès que l’on parle de travail pas de bonheur, que de la souffrance!

Et l’histoire récente met bien en avant, pour faire le lien avec le management et l’entreprise cette juxtaposition entre travail et souffrance. Il n’est qu’à relire les textes sur la division du travail (scientifique ou pas!) pour se faire à l’idée que la Manufacture du XIXème siècle ou l’entreprise patriarcale n’ont rien arrangé à l’affaire!
Forcément, nous finirons par parler de l’aliénation que provoque le travail dans la distinction entre celui qui pense le travail (col blanc) et celui qui l’effectue (col bleu)… On pourra, à cet effet relire, avec intérêt Karl Marx qui, dans les « Manuscrits de 1844″ écrivait : « L’ouvrier se trouve face à son travail comme face à un produit étranger ».

Il est donc aisé de comprendre que les managers, comme les salariés, n’aient pas vraiment envie de parler ou d’entendre le mot « travail ».

Faut-il donc se résigner, et continuer à « manager » les « Hommes », les « Organisations », les « Process », la « Communication », etc… sans plus parler de travail?

Pourtant… Pourtant…

Ils sont nombreux ceux qui nous parlent de « bien-être » au travail… Un point important à souligner (vous pouvez faire le test!). Si vous cherchez des images associant « bien-être » et « travail » sur le web, vous ne trouverez que des images de « bureau »… Aucune image associant le travail manuel (artisan, ouvrier, agriculteur, etc…); ce qui en dit long, très long, sur nos représentations du « travail pénible » (pléonasme)…

Revenons néanmoins à notre « bien-être au travail ». Bel oxymore n’est-ce pas? Comment serait-il possible d’éprouver du « bien-être » dans une séance de torture, à moins d’être un masochiste patenté? Ceci étant dit, ni nos amis marxistes (quels que soient les obédiences: léninistes, trotskistes, staliniens, marxiens, etc…) ni nos amis chrétiens n’ont remis en cause le « travail », fut-il associé à de la « souffrance »… Ce n’est pas tout à fait le cas des néo-libéraux (pour qui l’argent importe plus que le travail).

Que cache donc ce (petit) mystère?…

Une remarque simple: le travail est aussi une OCCUPATION; autrement dit il occupe à la fois l’esprit et le corps. Ici on trouvera un vrai partage autour du fait que l’Homme, laissé à lui-même possède la fâcheuse tendance à se laisser aller… Sans occupation, il sombre dans l’oisiveté (« la mère de tous les vices » dixit à nouveau la Bible). Certes il faut assurer l’essentiel: se nourrir, un toit, un minimum de confort. Et une fois tout cela acquis? Plus rien, la vile paresse! le farniente! Profitez du temps qui passe en attendant la mort et en prenant un peu de plaisir.

Le travail vient donc remédier à cet état de paresse pour apporter aux Hommes une occupation, un « quelque chose » à faire chaque jour et suffisamment pour ne pas partir dans l’oisiveté… La vertu du travail serait donc que, certes, il serait « pénible » et porteur de « souffrances », mais aussi qu’il occuperait l’esprit et le corps des Hommes pour les empêcher de se perdre.

Rajouter à cela la création de « besoins artificiels et non nécessaires » (dont notre société raffolent) et vous pourrez allègrement lancer le plus de personnes possibles sur le chemin noble et vertueux du « Travail ».
Résumons-nous…

Le management du « travail » n’aurait rien, non vraiment rien de réjouissant, nous offrant le choix délicat de la souffrance ou de l’occupation, le tout pour assurer notre subsistance et nous occuper pour nous éviter de mourir de faim, de froid et d’oisiveté!

Et pourtant…
Il est aussi une autre dimension du travail trop souvent passée sous silence et négligée dans les entreprises et par les managers..

Cette dimension nous fait prendre conscience que l’Homme est le seul « animal » qui s’assujettit au travail… Pourquoi donc? Parce que le travail, au-delà de sa nécessité et des souffrances qu’il peut procurer est aussi et surtout une source unique de REALISATION de soi en tant que personne individuelle, mais aussi, précisément, en tant qu’être humain!

En effet, toute vie humaine ne relève pas uniquement de la nécessité ni de la souffrance, et c’est ici, dans cette dimension essentielle que nous advenons à nous-mêmes: le TRAVAIL est, profondément, et indissociablement, REALISATION de SOI.

Nous ne pouvons nous réaliser que dans la confrontation à ce qui nous résiste, ce qui s’oppose à nous: la matière, les idées, les conditions dans lesquelles nous vivons. Et c’est précisément dans cette confrontation et dans le fait de parvenir à la surmonter que nous sommes fiers de nous et de ce que nous avons réalisé. Réaliser, c’est d’ailleurs rendre « réel », « concret » ce qui était dans nos pensées, dans notre esprit; et cette dimension du « travail » vaut pour tout un chacun, quelle que soit sa place dans l’entreprise, dans la société. Chacun, travaillant est un « contributeur » au corps social dans lequel il développe son existence.
Oui, la réalisation de soi demande et nécessite des EFFORTS. Rien de grand ne se fait sans effort. La dimension du « pénible » reviendrait donc ici; car réaliser des efforts, nous dira-t-on, c’est bien souffrir, non? Eh bien précisément non… un EFFORT qui a du SENS, un EFFORT qui fait SENS n’est plus pénible, n’est plus souffrance; il devient un élément, parmi d’autres de la réalisation de soi. Le travail, comme réalisation de soi nécessite bien sûr la dépense d’une énergie intérieure et personnelle. Le travail serait alors néanmoins, même dans le cadre d’une réalisation de soi associé à la FATIGUE? Une fois encore, non… Combien de fois avons-nous réalisé des belles « choses », et, prenant conscience du résultat, nous avons alors éprouvé plus d’énergie que de fatigue?..

Une fois encore, la notion de SENS est essentielle! Une dépense d’énergie qui fait sens ne conduit pas forcément, loin de là, à une fatigue… Bien au contraire, car nous sommes remplis de FIERTE devant ce que nous avons accompli. Etions-nous persuadé d’y arriver avant que d’essayer?… Hum… pas forcément, et pourtant, quand nous sommes arrivés au terme de notre travail, nous voilà remplis de cette fierté bien placée, qui renforce notre ego, notre confiance en nous et notre estime de soi. Pouvons-nous partager cette réalisation avec d’autres, et revoilà encore de l’énergie, de la confiance et de l’estime qui s’emparent de nous et nous font tellement de bien…

Sommes-nous parvenus à une réalisation commune, dans laquelle chacun, à sa mesure, a pu participer, et voilà que l’énergie se démultiplie… L’émotion est encore plus forte car elle se partage…

Alors, le « travail » doit-il disparaître de l’horizon des managers????
Non, bien sûr que non! Toutes les dimensions du travail sont à manager :

    • La pénibilité, en offrant un contexte matériel, organisationnel, motivationnel le meilleur possible

Le sens: il est à donner au quotidien en expliquant « pourquoi » chacun fait ce qu’il fait et ce qu’il a à faire

La contribution: dire à chacun en quoi il contribue, à sa dimension et à sa manière, à la réalisation collective

La réalisation de soi: dire à chacun ce qu’il gagne, pour lui en tant qu’être humain, à travailler, mais aussi dans sa progression de compétences

La motivation: trouver et proposer aussi ce qui motive chacun dans son travail au quotidien

La récompense: la contribution doit être rémunérée en fonction de ce qu’elle apporte au groupe, en fonction des progrès (techniques, organisation, etc…) qu’elle permet de réaliser.
etc…

Le Travail reste une valeur, mais aussi une pratique cruciale dans nos sociétés et dans les entreprises. Il reste, hélas, trop négligé et souvent laissé à ses contempteurs, victime d’un mépris venant de tous bords, qui devient des plus malsains… Il est aussi perçu de manière cynique ou ironique, ce qui ne facilite rien… Pourtant, si les managers, quels soient leurs niveaux, ne se réapproprient pas le Travail, à la fois dans sa dimension conceptuelle mais aussi pratique, tous les artifices managériaux mis en place (le management de l’Organisation, de la Motivation, des Process, de la Communication, etc….) s’évanouiront pour laisser place à un grand vide de SENS…

Il n’est pas trop tard, encore faut-il oser…

Jean-Olivier ALLEGRE & Sophie GIRARD

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