Complexité épisode 1 : Qu’est-ce que la complexité ? (en 3 « définitions » de base)

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Nous y voilà… Au pied de l’Everest… Notre billet fait suite ici à notre précédent billet « Sommes-nous prêts à vivre dans la complexité? »

Essayer de parler de la complexité de manière compréhensible sans simplifier est toujours une tâche des plus ardues. Comme l’écrivait Lao Tseu : « lorsque l’on commence à parler du Tao, ce n’est déjà plus le Tao » ; il en va de même pour la complexité. Commencer à en parler, c’est déjà en sortir… Mais, comme nous le verrons, nous n’avons pas vraiment le choix, et surtout ce qui importe c’est moins de l’appréhender, le définir que d’ouvrir des portes vers une meilleure acceptation. Nous verrons également que l’analogie avec le Tao n’est pas une simple coïncidence.

Définition 1

Pour commencer, la COMPLEXITE nous fait prendre conscience de choses, des éléments mêlés, mélangés. Nous qui voulons sans cesse et simplifier et dissocier nous retrouvons ici devant une réalité à devoir aborder et accepter de manière différente à ce dont nous avons l’habitude. On peut ici parler, pour clarifier la pensée, d’un tissu, autrement dit d’un enchevêtrement, et d’un TISSU DYNAMIQUE, autrement dit, pas simplement fait de fils, mais d’éléments en mouvement et en changement.

Non seulement nous sommes dans un TISSU DYNAMIQUE, mais tous ses COMPOSANTS sont INSEPARABLEMENT ASSOCIES. Ici nous pouvons buter sur une première résistance de notre esprit (ce ne sera, hélas ! pas la dernière). Le fait d’être inséparablement associés avec d’autres composants nous conduit à sortir d’une vision morale de la représentation du monde. Oui, dans la complexité, nous faisons « équipe » avec des éléments qui non seulement nous conviennent, nous aident, nous portent, mais aussi d’autres qui nous freinent, qui s’opposent à nous, etc… Ce constat nous amène également à prendre en compte que les éléments sont, de toute évidence, HETEROGENES, c’est à dire de nature, de motivation, de constitution radicalement différentes. Dans la complexité, nous devons non seulement composer, mais nous associer (nous le sommes de fait) avec des éléments hétérogènes et avec des aspirations pouvant être radicalement différentes des nôtres…

Définition 1 : La complexité est un tissu dynamique de constituants hétérogènes inséparablement associés.

Pour illustrer cette première définition, et la ramener dans le champs des relations humaines et du management, penchons-nous sur ce qu’est une entreprise… Elle se compose d’un ensemble de personnes internes (employés, managers, dirigeants, etc…) et externes (fournisseurs, clients, partenaires, représentant de l’Etat, etc…). En ce sens elle est bien un TISSU DYNAMIQUE, car chacun de ces acteurs (HETEROGENES) est en mouvement, en action (pour ou contre, peu importe). Un entreprise joue donc et fait jouer des acteurs hétérogènes qui sont néanmoins inséparablement associés. Chaque acteur n’est pour autant pas porté par un « bien commun », ni par les mêmes motivations. Par exemple, le client et l’entreprise n’ont pas forcément les mêmes intérêts, puisque l’un, par exemple veut un produit de bonne qualité à moindre coût, alors que l’autre travaillera d’arrache-pied pour un prix de vente supérieur. Néanmoins, client et entreprise ne sont pas seulement opposés, ils ont aussi des points d’intérêts en communs (le produit, le service, et, dans une certaine mesure, la pérennité de l’entreprise). Cet exemple vaut aussi en interne où salariés opérationnels et dirigeants n’auront pas forcément des intérêts communs ; les uns désireux de « travailler moins et gagner plus », les autres plus portés sur un « travailler plus pour gagner autant, voire moins ». Ici encore, l’opposition n’est pas la seule unique relation ; en effet, salariés et dirigeants ont également des intérêts communs dans le développement de l’entreprise par exemple, même si, ici encore, subtile complexité dans cet intérêt commun chacun peut avoir des motivations très différentes !

On le comprend bien ici avec ces illustrations basiques, la complexité n’est pas juste un « concept », c’est déjà une réalité quotidienne bien ancrée dans nos existences…

Définition 2

Ici se teste notre capacité (ou non) de faire face à ce sur quoi nous n’avons pas (complètement) la main : l’INCERTITUDE ! Car oui la complexité c’est l’incertitude, autrement dit, et voilà pourquoi nous ne voulons pas en entendre parler (sérieusement) ni, plus encore la prendre réellement en compte dans nos analyses et nos actions. Oui, il faut accepter de ne pas tout maîtriser, et, donc de voir une partie (plus ou moins importante) de nos actions, de nos décisions ne pas donner les résultats que nous espérions, que nous souhaitions alors même que nous avons mis en œuvre tout ce qui était en notre pouvoir. Car vivre dans la complexité, c’est composer, s’immerger dans des SYSTEMES RICHEMENT ORGANISES. Il nous faut lutter contre l’idée (mal) reçue qu’un « système organisé » serait nécessairement un système dans lequel règne de l’ORDRE… Or ! le désordre fait partie de l’organisation ! Mais, dans notre volonté de maîtrise du monde et des idées, nous avons réduit, à grands coups de simplifications abusives l’organisation à l’ordre simple. Non ! Ce qui fait la richesse d’une organisation c’est précisément le mélange d’ordre et de désordre… Mais alors me direz-vous… C’est un joli bazar, du désordre à l’état pur ? De l’aléatoire ? Hélas non… Même si cela ne nous serait pas simple à vivre, nous y trouverions un réconfort énorme, celui d’y voir intellectuellement : tout est désordonné ! Donc parfaitement insaisissable et incompréhensible ! Et surtout, nous pourrions nous laisser aller, car, que nous fassions, l’aléatoire prédominant, le résultat serait totalement sans rapport avec nos actions et décisions ! Las ! La complexité concerne des SYSTEMES SEMI-ALEATOIRES… Autrement dit, un mélange intime et imprévisible d’ordre et de désordre, d’effets prévisibles et imprévisibles, de parties maîtrisables et maîtrisées, mais aussi parfaitement non maîtrisables et absolument non maîtrisées… Ici, pour certains, le sol aura tendance à s’effacer sous les pieds. Rien de grave pourtant, car pour quiconque est un tant peu honnête et lucide… Ce ne sera pas une découverte. Par contre, l’intégrer au quotidien relève d’une gymnastique nécessitant un apprentissage avant de retrouver de la dextérité et de la confiance. Mais pourquoi ? me direz-vous encore… Pourquoi semi aléatoire et pas uniquement soit aléatoire soit parfaitement déterminé ? Tout simplement, si j’ose m’exprimer ainsi, parce que l’ORGANISATION du SYSTEME est INSEPARABLE DES ALEAS QUI CONCERNENT CHAQUE ELEMENT… Si le système est riche de ses composants, les aléas qui agissent sur les éléments créent des aléas à l’intérieur même du système ; ce qui conduit précisément à cette richesse, c’est que rien n’est joué d’avance, parfaitement prévisible. Du nouveau, de l’imprévu peut (et va) surgir alors même que l’on pensait être en terrain connu, créant, certes ce sentiment d’incertitude, mais également la surprise (bonne ou mauvaise, c’est selon). A nouveau, c’est seulement notre peur de l’inconnu, ou notre envie de ne pas être effrayé qui nous pousse à ne pas voir que, dans toute situation de répétition, autre chose se met en place (de la motivation ou de la démotivation, par exemple, de l’apprentissage et de la maîtrise ou au contraire de la remise en question…). Tous les éléments constituent un système, et, dans ce que chacun « vit », « expérimente » il génère à la fois le même (dans la répétition) mais aussi du différent (de la nouveauté, des erreurs, des essais) qui font évoluer le système, mais surtout génère, pour chacun de l’incertitude. La richesse des éléments et de l’organisation crée ainsi des SYSTEMES que l’on qualifie de SEMI-OUVERTS. Enfin un élément assez simple à appréhender ! Nous sommes, en tant qu’êtres humains, des systèmes, et précisément, des systèmes semi-fermés. Quid ? Me direz-vous ? Oui nous sommes à la fois ouverts ET fermés ! En effet, imaginez que nous ne soyons que fermés… Diantre ! Comment faire pour manger, boire, respirer ??? Pas possible… De même, imaginez à présent que nous soyons des systèmes totalement ouverts ! Aïe… Nous n’aurions pas de contours ! Heureusement que notre peau (entre autre) nous contient dans une certaine forme sans que nous soyons un amas de cellules et d’atomes dispersés aux 4 vents !

Définition 2 : La complexité, c’est l’incertitude au sein de systèmes (semi-ouverts) richement organisés. Elle concerne des systèmes semi-aléatoires dont l’organisation est inséparable des aléas qui les concernent.

Illustrons à nouveau notre définition, et cette fois-ci encore moins de doute, l’entreprise s’inscrit dans la complexité… L’entreprise forme un système (en tant qu’entreprise), et elle est composée de bons nombre d’éléments qui en font un SYSTEME SEMI OUVERT : les uns entrent, les autres sortent, l’entreprise grandit ou rétrécit, elle gagne ou perd des parts de marché, elle recrute ou licencie, mais même à effectif égal, certains s’en vont et d’autres arrivent ; ses clients, ses fournisseurs jouent un jeu de pression sur elle et la font nécessairement évoluer… Quant au SEMI ALEATOIRE, il suffit d’avoir été dans une entreprise quelques jours pour en prendre conscience, quand les imprévus se mettent en place (congés, maladies, accidents de tous ordres) ; mais aussi prévisible quand les méthodes appliquées fonctionnent. Quant au fait qu’une entreprise soit RICHEMENT ORGANISEE, nul doute là-dessus, tant la richesse de chacun de ses employés, leurs vécus, leurs expériences, qu’ils soient professionnels ou personnels, rationnels ou émotionnels l’influence jour après jour !

Définition 3

Il est temps de prendre acte des premières « définitions » posées en guise de démarrage. La COMPLEXITE est un CERTAIN MELANGE D’ORDRE ET DE DESORDRE. Ici encore vous pourriez me rétorquer une imprécision : un « certain » mélange ? Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement… Qu’il n’existe pas de « dosage » précis, prévisible ou équitable en l’ordre et le désordre au sein de l’organisation… Parfois plus d’ordre que de désordre, parfois l’inverse… Parfois beaucoup de l’un, parfois beaucoup de l’autre… Parfois beaucoup de maîtrise, parfois plus rien de maîtrisable et de maîtrisé… Je sais… Certains tenteront de se dire « travaillons sur des modèles qui permettent de supprimer l’incertitude, de biffer le désordre totalement ». Hélas, ceux-là n’auront pas intégré que le MELANGE est INTIME, CONSTITUTIF même de la complexité… Car pour tout maîtriser, supprimer le désordre, il faudrait simplement (??!!) supprimer les interactions au sein de(s) systèmes. Or… tout système étant précisément un ensemble d’interactions entre des éléments… Il faudrait supprimer le(s) système(s)… Comme pour un être humain se séparer de son corps pour n’être plus qu’un pur esprit, puis se séparer de ce pur esprit dans lequel pourrait encore exister des contradictions, des oppositions, des doutes, de l’ordre et du désordre… Donc… Il faudrait disparaître…

Définition 3 : La complexité est liée à un certain mélange d’ordre et de désordre, mélange intime constituant une organisation d’interactions

Illustrer cette dernière définition ? Chacun en est capable tant une entreprise, avec toutes ses composantes, hommes, femmes, motivés, démotivés, performants, moins performants, sur performants, ex performants, etc… constituent ce mélange quotidien d’interaction ou les systèmes (les individus) créent des systèmes (équipes) créant d’autres systèmes (divisions, directions, entreprises) ET où chaque individu est non seulement un système « professionnel » mais aussi « social », « familial », « émotionnel », « personnel », etc…

Pour poser une fin (?!) sur ce premier épisode concernant la complexité, nous savons à présent qu’il faut de l’énergie de vie pour vivre dans la complexité, pour faire face à une (relative) instabilité, à une (relative) incertitude, etc… Or… Comme chacun l’aura ici compris, la COMPLEXITE n’est pas une nouveauté, ce n’est pas non plus une invention du marketing managérial…

Non ! LA COMPLEXITE C’EST LA VIE ET C’EST NOTRE HUMANITE. Nous sommes des êtres vivants dans un monde et un univers vivants. Si vous balayez à présent les 3 « définitions » posées plus haut, vous verrez qu’elles sont peut-être déplaisantes, car elles nous obligent à un peu plus d’humilité, mais, et profondément elles nous ouvrent sur notre humanité et notre vie ; en tout cas elles nous ouvrent sur une dimension que nous refoulons, mettons de côté depuis l’aube de l’humanité : notre fragilité, notre petite dimension dans l’univers, et surtout sur notre finitude. Nous sommes des êtres fragiles, bien peu de choses dans l’univers et, cerise sur le gâteau ! nous sommes mortels… Mais nous sommes aussi capables d’une créativité, d’une inventivité incroyable, d’une énergie phénoménale qui nous permet de réaliser de grandes et de petites, de « magnifiques » mais aussi « d’horribles » actions…

Nous prendrons conscience, au cours des prochains « épisodes » qu’il nous est possible d’agir, de vivre et de penser dans le monde de la complexité…

Rendez-vous au prochain épisode…

Jean-Olivier ALLEGRE

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