La stupidité selon Dietrich Bonhoeffer
Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) est un théologien et pasteur luthérien allemand. Très tôt engagé contre le nazisme, il s’oppose à l’idéologie hitlérienne au nom de la foi chrétienne et de la dignité humaine. Cofondateur de l’« Église confessante », mouvement de résistance spirituelle au régime, il prend part à des réseaux clandestins et participe indirectement au complot contre Hitler. Arrêté en 1943, il est exécuté en avril 1945 au camp de Flossenbürg, quelques semaines avant la fin de la guerre. Son ouvrage Résistance et Soumission, recueil de lettres et écrits rédigés en prison, fait de lui une figure majeure de la pensée chrétienne du XXᵉ siècle, admirée pour la profondeur de sa foi et son courage face à la barbarie.
Nous avons choisi de vous proposer deux extraits éclairants, où Bonhoeffer analyse avec une rare lucidité le danger de la stupidité et son lien avec la montée du pouvoir.
« La stupidité est un ennemi du bien plus dangereux que la méchanceté. Contre le mal, on peut protester ; on peut le dévoiler ; si nécessaire, on peut l’empêcher par la force. Le mal porte toujours en lui le germe de sa propre destruction, en laissant au moins un malaise chez l’homme.
Mais contre la stupidité, nous sommes sans défense. Ni par la protestation, ni par la violence, on ne peut rien obtenir ici ; les raisons ne portent pas ; les faits qui contredisent les préjugés personnels n’ont pas à être crus – dans de tels cas, l’homme stupide devient même critique – et s’ils sont inévitables, ils peuvent simplement être mis de côté comme des cas sans importance.
Par là, l’homme stupide, contrairement au méchant, est entièrement satisfait de lui-même ; oui, il devient même dangereux, car il est facilement irrité et passe à l’attaque.
C’est pourquoi il faut user de plus de prudence envers l’homme stupide qu’envers le méchant. Jamais plus nous n’essaierons de convaincre le stupide par des raisons ; c’est absurde et dangereux. »
(Source : Dietrich Bonhoeffer, Résistance et Soumission, trad. André Dumas, Labor et Fides)
« Il apparaît aussi que toute montée puissante du pouvoir, qu’il soit politique ou religieux, infecte une grande partie des hommes de stupidité.
Oui, il semble même qu’il s’agisse là d’une loi sociologico-psychologique : le pouvoir d’autrui a besoin de la stupidité des autres.
Le processus est presque inévitable : sous l’influence d’un pouvoir grandissant, les facultés d’indépendance intérieure de l’homme s’effondrent. Il renonce plus ou moins consciemment à trouver par lui-même une attitude vis-à-vis des choses qui se présentent.
Le fait d’être stupide n’est pas alors un défaut intellectuel, mais un défaut d’humanité. On se sent pris non pas en face d’une personne, mais de slogans, de mots d’ordre, qui se sont emparés de lui.
Il est ensorcelé, aveuglé, abusé, et ruiné dans son être même. Ayant ainsi perdu son autonomie, il devient aussi, presque toujours, un instrument du mal, et il sera capable de toutes les bassesses.
Mais sans jamais en avoir conscience. »
(Source : Dietrich Bonhoeffer, Résistance et Soumission, trad. André Dumas, Labor et Fides)
En complément de ce texte : Friedrich Nietzsche et la prophétie des nihilismes
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