RESTER DEBOUT

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La société actuelle est, il faut bien l’avouer pétrie de contradictions et d’antinomies. Ainsi nous sommes dans la société du « liquide » où tout doit être « fluide » et « horizontal », et en même temps, de plus en plus de modes de « gouvernance » relèvent de la coercition la plus brutale, frisant ce qu’il est convenu d’appeler le « terrorisme management ».

 

Notre propos, ici, ne sera pas de nous pencher sur ces travers qui infiltrent également les entreprises, mais de nous demander quelles sont les conséquences pour la pratique managériale en générale, et plus particulièrement pour ce qu’il est convenu d’appeler « management terrain » ou « opérationnel » qui doit faire face, de manière très concrète, à toutes ces injonctions paradoxales.

 

DU MANAGEMENT DE LA BIENVEILLANCE A LA GENTILLESSE ABSOLUE

C’est à se demander, en cette période de perte de valeurs, si le management, dans sa version « techno marketing » ne s’est pas transformé en Evangile Christique tant il est fait l’apologie, pour les managers, d’être dans la bienveillance et la gentillesse absolue vis-à-vis des salariés.

Loin de nous l’idée de valoriser un management qui s’appuierait sur la « méchanceté », la cruauté et la violence. Celles et ceux qui nous connaissent, savent que nous sommes à des années lumières de ces pratiques.

Néanmoins, cette demande d’un certain « oubli de soi » des managers au profit des salariés devient préoccupante.

 

BIENVEILLANCE ET GENTILLESSE : LE NAUFRAGE DU PATHOS

Il serait bon, de temps en temps, de relire quelques auteurs fondamentaux sur les concepts soit-disant novateurs du management. Ainsi la bienveillance, a t-elle été abordée par… Saint Augustin, au IVème siècle de notre ère… C’est dire l’innovation managériale ! Que nous dit Saint Augustin de la bienveillance ? Qu’elle est le propre des amis, et ne peut se pratiquer que dans cette proximité de relation tant elle réclame des vertus puissantes de patience et de don de soi… Bigre ! Le manager n’aurait donc plus d’équipe, mais des « amis »?.. Nous passons sur l’ineptie du propos pour poser le problème au bon niveau : une bascule dans le pathos, dans l’émotionnel et l’affectif. Cette bascule managériale se passe systématiquement lorsque le manager ne sait plus ce qu’est le RESPECT, et qu’il se sent obligé d’acheter de la bienveillance de la part de son équipe en se faisant passer pour celui qui est… bienveillant. Technique vieille comme le monde pour « acheter une relation » ou, en entreprise, « la paix sociale ». Le pacte pourrait se formuler ainsi « je suis gentil avec toi, donc tu seras gentil avec moi ». Toute coïncidence avec les dérives éducatives ne seraient, bien sûr, que pure coïncidences. La bienveillance est le propre des amis. Il serait là aussi bon de relire ou de lire Aristote (IVème siècle AVJC) et notamment ses propos sur la dynamique de l’amitié qui permet aux Hommes de s’élever mutuellement en s’appuyant sur un « ami » dans cette spirale vertueuse de l’EXIGENCE et de l’AMITIE. Je suis exigeant avec mon ami pour qu’il s’élève et je l’accompagne dans ce mouvement spirituel d’élévation en étant exigeant et bienveillant. Mais je réalise cela, précisément parce qu’il est mon ami, autrement dit, une personne très proche à laquelle je tiens et qui a de la valeur pour moi.

La BIENVEILLANCE réelle repose sur l’AMITIÉ, donc sur une forme de l’AMOUR. Il serait trop long ici de rentrer dans les 3 dimensions de l’amour philosophique, mais pour faire (très et trop) simple (voire simpliste), il y a d’abord l’amour EROS( désir charnel), l’amour PHILEN (bien aimer quelque chose ou quelqu’un) et l’amour AGAPE (amour de type spirituel). Et précisément, la BIENVEILLANCE relève TOUJOURS de l’AMOUR AGAPE… Sans cette dimension, les êtres humains limités que nous sommes ne trouvent jamais la patience, la force, la ténacité et le courage de tenir cette aspiration si exigeante.

Nous ne disons pas que les managers n’ont pas cette capacité. Mais quand nous regardons la RÉALITÉ du QUOTIDIEN des managers, permettez-nous d’avoir un doute sur la capacité du manager à être réellement en état de bienveillance avec l’ensemble de son équipe et… de ses propres managers.

 

LE MOT QUI FÂCHE : RESPECT

Si l’AMOUR est le fondement de la BIENVEILLANCE (à nouveau, pour lui donner une réalité, une effectivité), alors cette fameuse bienveillance sera pratiquée dans des lieux de relations humaines très précis : la relation de couple et la relation familiale. Ainsi dans un couple, chacun est capable de « prendre sur lui » (comme l’on dit maintenant) et de supporter (au sens plein du terme) les divergences avec son partenaire parce qu’il l’aime et que cet amour lui donne, à nouveau, la force et la patience, ainsi qu’une certaine dose d’oubli de soi. Cette exercice de la bienveillance remplie d’amour est encore plus forte et le fondement absolu et inconditionnel de soi avec ses enfants. Un adulte, un parent ne fera jamais rien de négatif et destructeur à son enfant, précisément parce qu’il y a ce fondement absolu et inconditionnel de l’amour.

Mais le manager ? Doit-il être ce nouveau Christ en Amour Absolu de chaque personne de son équipe ?… Avouez que le simple fait de poser les conditions de réalité de cette pratique répond à la question… Que certaines personnes possèdent cette vertu d’altruisme absolu de s’oublier au profit de l’autre, il est à le souhaiter, et, bien sûr que certains managers sont portés par cette puissance intérieure. Mais, soyons sérieux quelques instants… Cette exigence ne peut être « normalisée » pour l’ensemble des managers !

Alors, quel doit être, et quel va être le FONDEMENT INCONDITIONNEL dans la relation MANAGER-MANAGÉ ? C’est tout simple : le RESPECT. C’est le respect qui me permet de faire progresser et d’être au service des personnes de mon équipe. Mais c’est aussi le RESPECT qui me porte vers la capacité d’être et de demeurer EXIGEANT vis-à-vis des personnes de mon équipe. Le respect nous fait passer ainsi sur le bon registre et la bonne dimension de la relation humaine à pratiquer dans le management : non plus basée sur l’être, l’affectif et les émotions, mais sur le FAIRE, les COMPORTEMENTS et le RATIONNEL.

Pour fréquenter le monde des entreprises et des relations humaines dans le monde professionnel depuis bientôt 25 ans, la pratique réelle et partagée du RESPECT serait déjà une avancée majeure dans la qualité des relations humaines…

 

TENIR ET RESTER DEBOUT

Revenons à nos propos liminaires sur la verticalité…

Il est clair que la mise en avant de manière surjouée de ces notions de « bienveillance » et de « gentillesse » pour le management de proximité relève et révèle ce désir d’horizontalité, qui permet de faire croire que tout le monde est au même niveau (ce qui est le mensonge fondamental de ce que l’on appelle les « réseaux numériques » (et pas sociaux, tant les comportements qui y sont développés n’ont rien de très « social »)).

Si le MANAGER est un AMI BIENVEILLANT, alors, comment sera t-il capable de porter et d’incarner des exigences ? Surtout, surtout… à une époque où toute exigence est vécue au mieux comme une contrainte, au pire comme une atteinte insupportable à l’intégrité physique et psychique des personnes. Il n’est qu’à voir dans tant d’entreprises, la difficulté des managers simplement pour porter des « objectifs » ou demander l’application des règles d’organisation, de sécurité et des méthodes de travail partagées…

Bref…

Le RESPECT dans le management et dans l’entreprise, ne peut être porté que par des managers ayant encore le sens de la VERTICALITÉ. Autrement dit, des managers qui ont compris ET qui pratiquent 1° une capacité à entraîner et à EXIGER, et 2° une capacité à accompagner et permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même dans et avec ses capacités propres.

Or, cette VERTICALITÉ du management de proximité est grandement favorisée si le « top management » est solidaire et cohérent avec son management de proximité. Nous ne reviendrons pas ici sur le sujet du désalignement entre management stratégique, management intermédiaire et management opérationnel que nous avons déjà abordé dans un autre article (LIRE ICI).

La question de la VERTICALITÉ est aujourd’hui fondamentale non seulement dans le management, mais aussi pour l’entreprise, voire pour la société (mais cela nous conduirait trop loin).

Pour qu’un manager soit capable de VERTICALITÉ, et donc de faire vivre des EXIGENCES, il doit être porté à la fois par une CONFIANCE EN LUI (et ses capacités), une CONFIANCE en la structure générale de l’entreprise et du MANAGEMENT (ce que l’on me dit aujourd’hui sera vrai demain), et CONFIANCE dans les PERSONNES de son équipe (fiabilité réciproque : ce que je te dis, je le tiendrai, et ce que tu me dis, tu le tiendras).

Le RESPECT que nous évoquions plus haut permet d’éviter les excès : basculer dans des remarques hors de propos et déplacées dans les moments difficiles (style « vous êtes des gros nuls ») qui attaquent l’être même des personnes, leur estime d’elles-mêmes, mais aussi la bascule dans l’émotion qui achète la relation (« vous êtes vraiment les meilleurs ! Je n’ai jamais eu des personnes aussi fortes que vous !) en sombrant dans le pathos absolu et le mélange des genres.

 

COMMENT TENIR DEBOUT DANS UN ENVIRONNEMENT QUI COUCHE TOUT LE MONDE ?

Il faut revenir sur le triptyque évoqué dans notre précédent paragraphe: CONFIANCE !

CONFIANCE EN SOI : c’est à priori la donnée de base. Nous aimerions y revenir juste après…

CONFIANCE EN LA STRUCTURE ET DANS LE MANAGEMENT SUPERIEUR : c’est aujourd’hui une clef, car nombre de managers, précisément, n’ont plus la force, la capacité, les ressources ou la confiance nécessaire en eux pour tenir la verticalité et les exigences du quotidien. Ils doivent alors trouver cet appui, ce soutien, dans la structure même de l’entreprise et du management. Ainsi l’alignement managérial est-il le meilleur vecteur pour permettre à un manager de jouer pleinement son rôle, c’est-à-dire aussi bien dans l’exigence, que dans la transmission d’énergie, d’accompagnement, de valorisation, de mise en autonomie, de réalisation de performances, etc…

CONFIANCE DANS LES PERSONNES DE MON ÉQUIPE. Cette donnée fondamentale est la grande oubliée dans la mise en avant naïve et infantilisante de la bienveillance. En effet, outre le fait que les collaborateurs d’une équipe ne sont pas toujours et forcément disposés à une grande bienveillance vis-à-vis de leur manager et de l’entreprise (ce qui nous fait sortir d’un monde idéal composé de « gentils » managers travaillant avec des « gentils » collaborateurs…), la question qui permet, précisément d’EVITER le MANAGEMENT de COERCITION, c’est à la fois la CONFIANCE et le RESPECT RÉCIPROQUES. Si un manager n’a pas confiance dans une personne de son équipe, il va lui être radicalement difficile de sortir d’un mode de management directif. De même si le respect n’est pas réciproque, la relation ne peut être, en aucun cas, saine et durable.

RETOUR DE LA CONFIANCE EN SOI… Certains managers ont cette ressource personnelle, construite au fil des années, des expériences; construite aussi avec d’autres managers qui les ont accompagnés dans cette dimension. Pour ces managers là, la VERTICALITÉ DANS LE RESPECT ne pose aucun problème, aucune difficulté. En effet, cette confiance personnelle permet à la fois de poser des exigences sans agressivité, sans surjouer, que ce soit dans l’exagération de contrainte ni dans la mielleuse condescendance. Elle permettra également d’accompagner chacun au bon niveau en se rendant disponible. Ces personnes ont la capacité de trouver en elle-même leur propre fondation et leur propre force pour faire face au quotidien. Hélas, on comprend mieux, avec ce bref descriptif, que tous les managers n’ont pas cette ressource et que nombre d’entre eux ont besoin de se reposer sur la structure et sur leurs propres managers.

 

DEBOUT OU BALAYÉ PAR L’ESPRIT DU TEMPS.

Comme l’écrivait très récemment et de manière si juste le Père Luc de Bellescize : « Combien de fois on vante « l’ouverture » et la pondération d’un homme qui n’est au fond qu’un modéré sans conviction, un lâche flageolant devant l’esprit du monde et la terreur du qu’en-dira-t-on ». La terreur du qu’en-dira-t-on est précisément LE point qui fait qu’un manager peut RESTER DEBOUT ou se coucher… Le regard porté sur chacun est devenu, à l’heure actuelle, un mouvement de pression d’une puissance incroyable. Il n’est qu’à voir les (rares) personnes qui osent encore prendre la parole de manière ouverte et franche pour poser les problèmes et les difficultés, même de manière constructive, pour qu’elles soient (systématiquement) qualifiées au mieux de « pessimistes » (comme si décrire le réel de manière précise, réaliste et tel qu’il se présente était un signe de pessimisme…) voire, dans la novlangue managériale de « personnalités difficiles » (la relégation dans la dimension psychiatrique équivaut aujourd’hui à une mise à mort sociale). Ainsi va le monde. Le temps des managers encore debout dans leurs entreprises n’est pas révolu, car sans ces personnes, les entreprises seront comme la paille dans le vent : balayée…

Les entreprises ont BESOIN de PERSONNALITÉS FORTES, capables de porter des PAROLES et des ACTIONS permettant de CONSTRUIRE COLLECTIVEMENT. La seule question est : les managers sont-ils fait de ce métal ? Et surtout, savons-nous, dans les entreprises, accepter et manager ces fortes personnalités ? Où ne sont-elles que le révélateur de notre propre faiblesse ? N’oublions jamais cette citation de Friedrich Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra dans un dialogue imaginaire entre le charbon et le diamant : « Pourquoi si dur ? Demanda un jour le charbon au diamant. Pourquoi si mou ? Lui répondit le diamant. »

Sophie GIRARD & Jean-Olivier ALLEGRE

Tags
management, bienveillance, gentillesse, lâcheté, respect, confiance

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