Entrepreneur de son existence ?

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Que va devenir le salariat dans le monde de demain et d’après-demain ? C’est la grande question du moment, et les colloques et ouvrages sur le sujet se multiplient devant les évolutions fortes et très marquées du marché du travail. Fini le salariat ? Serons-nous tous « indépendants » après-demain ? Nombre de questions se posent et reposent la question du rapport de l’individu et du travail. La thématique du « tous entrepreneurs » est présente dans l’entreprise depuis une petite dizaine d’années, et elle interpelle autant les salariés que les managers. Petite tentative de replacer les choses dans l’ordre…

 

Pour un consultant et un philosophe, ce mot d’ordre, voire ce « culte » de l’entrepreneur interpelle à plus d’un titre.

Soit il agace devant une figure de l’entrepreneur, du travailleur indépendant qui devient l’alpha et l’omega de toute discussion sur le travail, surtout quand les postures deviennent quasi idéologiques (l’entrepreneur est bon, le salarié est un assisté).

Soit il permet d’élargir le débat et de se penser comme un « entrepreneur de son existence » dans des dimensions qui dépassent et complètent l’appréhension réduite de « l’entrepreneur en entreprise »…

Nous faisons ici le pari d’élargir le débat pour anticiper les évolutions du marché du travail et, par ricochet, du management en allant bien au-delà du professionnel, car les changements auxquels nous faisons face sont généraux dans toutes les dimensions de nos vies (professionnelles, personnelles, sociales, affectives, etc…)

 

Entrepreneur de son existence… Beau défi, beau projet de vie, non ? D’autant plus qu’entreprendre, au sens premier signifie « prendre en main, se rendre maître ». Vous avouerez que le défi est de taille aujourd’hui, dans des environnements à la fois de plus en plus complexes et générant, de fait un nombre d’incertitudes grandissantes. Autrement dit, comment se rendre maître de son existence, de ses pensées, de ses émotions et de ses actes dans un environnement sur lequel nous avons aussi rarement « eu la main » ?..

 

Entrepreneur de son existence renvoie à une question aussi ancienne que le monde des humains et des philosophes : comment « sculpter sa propre statue », ou comment « devenir qui l’on est », si cher à Pindare (poète du Vème siècle AVJC) ? Celui-ci complétait sa demande avec la seconde partie de la citation : « quand tu l’auras appris »….

 

Tout d’abord on n’est pas entrepreneur de son existence, on le devient ! Il est important de se placer non pas dans un état, mais dans un processus, un devenir. Avec un point positif : le temps qui est devant moi est un terrain de jeu pour sculpter mon existence ; mais également une dimension plus « négative » : dans cette entreprise, rien n’est jamais acquis.

Ensuite, devenir l’entrepreneur de son existence nous amène à « jouer », à « composer » avec des dimensions essentielles aujourd’hui tant dans le domaine professionnel que personnel :

  • Autonomie : se donner à soi-même sa propre loi (ce qui n’a rien à voir avec le rejet épidermique de toute autorité, mais de savoir quelle loi je respecte),
  • Responsabilité : être en capacité de répondre de ses actes et de leurs conséquences secondaires, prévues et imprévues,
  • Complexités : contexte en changements dynamiques et ouverts,
  • Incertitudes : plus ou moins grand degré d’imprévisibilité des événements à venir.

 

On comprend ici que le slogan du marketing pseudo managérial « soit patron de ton équipe », « agis en entrepreneur » n’est qu’une incantation sans fondement ni avenir tant les conditions réelles de son application dans la majorité des entreprises n’est pas acquise.

« Agir en entrepreneur au sein de l’entreprise » ? Pourquoi pas, mais cela suppose que je possède une zone d’action et de responsabilités en conséquence. Or, trop souvent, le cadre est bien trop étroit, les marges de manœuvres et d’initiatives bien trop réduites pour pouvoir exercer une quelconque action digne d’un entrepreneur. Mais l’entreprise et les managers et/ou dirigeants ne sont pas les seuls en cause. En effet de l’autre côté, c’est-à-dire de celui à qui s’applique le principe du « salarié entrepreneur dans l’entreprise », la capacité d’initiative est bien souvent trop peu présente ; quant à la dimension du risque… elle est édulcorée dans une posture de salarié. L’entrepreneur prend des risques et se met en situation de risque, c’est-à-dire de non maîtrise totale du résultat. L’entrepreneur fait des paris (sensés et pesés, mais des paris) ; et surtout il joue avec son argent, ce qui, l’air de rien change pas mal de choses…

 

Ouvrons donc le projet de « devenir entrepreneur de son existence », car, au-delà des limites et des difficultés, l’avenir se situe ici, tant pour les entreprises que pour les salariés et les managers. Le monde d’aujourd’hui et encore plus celui de demain, de par ses évolutions (parfois radicales) réclame PRECISEMENT des personnes qui sauront concrétiser autonomie, responsabilité, capacité à agir dans les complexités et les incertitudes.

 

ACTE 1 : Poser une vision

Devenir entrepreneur de son existence, c’est avoir la capacité de poser, de construire une vision, un but qui précise ce que l’on veut atteindre. C’est également le faire d’une manière active, sans que quelqu’un exerce une demande, une exigence ou une contrainte extérieure. C’est préciser ce que l’on veut (vraiment), ce qui fait sens, ce qui vaut la peine de se mettre en route, en action. La vision oblige à préciser, à définir, à connaître ses motivations. Qu’est ce qui met en mouvement jours après jour ? quels sont les éléments qui créent la dynamique quand personne n’exerce de contrainte, de coercition ? quel est mon projet lorsque personne ne me le dicte, ne me l’impose, ne le trace pour moi ? Devenir entrepreneur de son existence nécessite de clarifier dans la durée mes désirs et mes besoins de réalisation, sous peine de ne vivre qu’un « feu de paille »…

 

ACTE 2 : Mettre en acte mon projet

Il est essentiel de ne pas rester, voire se complaire, dans le monde des « idées », des « pensées », des « possibles » ! L’entrepreneur de son existence est celui ou celle qui non seulement pense sa vie, mais vit sa pensée, c’est-à-dire la réalise, la concrétise, la met en œuvre. A quoi bon rêver sa vie si l’on n’y goûte jamais ? devenir entrepreneur de sa vie c’est articuler jour après jour ce que l’on veut, ce que l’on souhaite et ce que l’on peut. C’est mettre en acte et en cohérence ses possibilités et ses désirs. Le projet est important car il définit le chemin que mes valeurs, le sens de mes actions réaliseront au quotidien.

 

ACTE 3 : Repenser le travail

L’entrepreneur de son existence ne considère plus le travail comme un « mal nécessaire » servant à « assurer sa subsistance et celle de sa famille ».

L’entrepreneur de son existence pratique le « travail » comme une façon de se réaliser, autrement dit comme un accomplissement de soi. Le travail n’est alors plus une « corvée », mais une façon d’exprimer qui l’on est et de le réaliser au quotidien. Le travail n’est plus un « devoir », mais une activité qui fait sens. Pour cela, et pour s’éviter de mettre en avant les « contraintes extérieures » qui peuvent nous empêcher de pratiquer une activité dans cet état d’esprit, nous devons être au clair sur ce qui nous motive et fait sens pour nous…

 

ACTE 4 : Accepter le risque

Entreprendre, c’est accepter d’échouer, dans toutes les dimensions de son être. Entreprendre c’est oser ; oser faire des paris, oser se tromper, oser perdre son temps, etc… On pourrait ne voir que le côté obscur de l’entreprise personnelle ou professionnelle, mais la réussite est également plus forte quand on s’est mis en danger et que l’on peut récolter les fruits de ce que l’on a semé. Accepter le risque, c’est aussi incarner ces fameuses « autonomie et responsabilité » ; être responsable de ce que l’on a réalisé, avec ses côtés positifs et ses côtés négatifs. Etre autonome en ayant eu le courage de ne pas attendre des solutions toutes faites, des chemins déjà tracés pour tenter de construire son chemin, sa voie.

 

ACTE 5 : Accepter de se découvrir progressivement

Cette dimension pourrait apparaître comme « horrifiante » de prime abord. En effet, cela signifie que mon projet (de vie, professionnel ou autre) en version 0 ne soit pas le bon… En effet, qui peut me garantir que mes « désirs », mes « motivations » et autres « envies » initiales étaient les « bonnes » ? Personne ! Au-delà de la peur initiale de se tromper et d’avoir fait fausse route, apparaît la joie réelle et sincère de s’éprouver et de se réaliser. On ne crée pas un chef d’œuvre du premier coup ! Cela est encore plus vrai dans la réalisation de nos existences ! Quel manque d’humilité total que de penser que notre projet initial est le « vrai », le « bon » ; et encore plus, quel manque de clairvoyance, de lucidité ! Nous sommes largement plus que ce que nous imaginions au départ ; mais pour le découvrir et en prendre conscience, il faut oser se mettre en chemin !

 

Il est intéressant, pour conclure de se rendre compte que la posture « entrepreneur de son existence » trouve un écho réel, pertinent et « efficace » dans l’univers professionnel. Pour avoir le plaisir de travailler au quotidien avec des managers de tous horizons, tant dans leurs métiers, les activités, les motivations, les styles de management, etc… il est interpellant de voir qu’une démarche centrée de prime abord sur le « développement personnel du manager » telle que nous pouvons les pratiquer renvoie à toutes les dimensions non seulement de l’entrepreneur de son existence, mais aussi à celle des relations dirigeants/managers et salariés : vision, sens, valeur, culture d’entreprise, projet, stratégie, motivation, objectifs, incertitudes, peurs, etc…

Qui a dit que la philosophie et le management n’étaient pas des sujets passionnants et très concrets ? Et encore, les lecteurs attentifs auront noté que nous n’avons pas abordé ici la dimension des relations (coopération, compétition, etc…) dans cette thématique du « devenir entrepreneur de son existence » ; c’est dire s’il y a non seulement encore beaucoup à dire, mais énormément à faire, car peut-on devenir qui l’on est sans les autres ?..

Sophie Girard & Jean-Olivier Allègre

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