Définir des règles : sortir de la loi du plus fort

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Les managers, et encore plus, les entreprises doivent-elles définir des règles ? Et, si oui, dans quels domaines, pourquoi et comment ? Puis ensuite, comment les faire vivre au quotidien ? Voilà un ensemble de questions de plus en plus récurrentes avec les participants et clients que nous rencontrons. Au-delà de ces interrogations est posé un réel problème : celui du rapport aux règles, au cadre qui est (trop) souvent appréhendé dans une optique de contraintes… Alors, le cadre et les règles : paquet de contraintes ou véritable socle de coopération ?...

Un cadre et des règles ? De quoi parle t-on ?

Avant de s’interroger sur la pertinence ou non de définir un cadre de travail, il est crucial de savoir de quoi l’on parle exactement.

Pour une entreprise ou un manager, poser des règles concernent essentiellement 4 domaines :

Premier domaine : les objectifs

C’est le premier domaine quand on parle de cadre : définir le « où allons nous » que ce soit en individuel ou en collectif.

Les objectifs permettent de visualiser ce que l’on vise, ce que l’on veut (doit) atteindre.

Second domaine : les règles concernant les missions et méthodes de travail individuelles

Il s’agit ici de définir quel est le rôle de chacun, et comment chacun effectue son travail, réalise ses tâches.

Ce cadre définit également les zones de responsabilités individuelles (de quoi puis-je décider à mon niveau ?)

Troisième domaine : les règles concernant l’organisation générale

Ce domaine concerne le fonctionnement collectif à la fois d’une équipe, mais aussi de l’entreprise dans ses relations entre services et/ou départements.

Ce cadre définit globalement le « qui fait quoi avec qui » ? et peut également permettre de définir les zones de responsabilités (qui peut décider de quoi), voire de co-responsabilités (qui décide de quoi avec qui ?)

Dernier domaine : les règles définissant la partie comportementale

En s’appuyant sur les valeurs de l’entreprise (si elles existent) ou sur les pratiques porteuses de cohésion, le manager définit les comportements qui nuisent au bon esprit d’équipe, au bon fonctionnement collectif de l’équipe non pas dans une dimension technique (savoir-faire), mais des attitudes, le savoir-être.

Ces règles permettent d’éviter les débordements comportementaux, et mettent en avant les attitudes porteuses d’un bon état d’esprit collectif.

Les règles ? BEUAARRRKKK !

Soyons clairs… Trop souvent, les débats autour des notions de cadres et de règles prennent un virage émotionnel, voire épidermique marqué. Petite récolte de ces réactions :

  • Les règles, ce sont des contraintes ! Elles m’empêchent de faire ce que je veux, quand je veux, comme je veux.
  • Les règles cela tue la créativité ! Seule une créativité sans limite est une vraie créativité. Poser un cadre, conduit à supprimer toute capacité des individus à imaginer de nouvelles choses et à innover.
  • Les règles sont des sanctions ! Se voir poser (ou imposer) des règles, un cadre, cela relève de la punition, voire du règlement de compte.
  • Les règles, c’est un acte autoritaire ! Définir un cadre, c’est se comporter comme un tyran qui veut limiter la liberté individuelle et collective de manière unilatérale !
  • Les règles, c’est pour les enfants ! Autrement dit, cela s’adresse uniquement aux personnes qui ne sont pas autonomes, et qui ont besoin d’être encadrées pour agir et se comporter correctement.
  • Etc…

Voir au-delà…

Tentons de dépassionner le débat et de voir au-delà des réactions émotionnelles et épidermiques.

Définir un cadre et des règles, c’est sécurisant.

Pour savoir si l’on est bien là où l’on doit être dans le milieu de l’entreprise, il existe 2 méthodes.

La première consiste à ne pas définir de cadre et laisser chacun « errer » et découvrir le cadre (car il y en a toujours un, c'est-à-dire une définition des limites) en se faisant « recadrer »… Système absurde et paradoxal, puisque chacun doit découvrir au fur et à mesure des "règles » et « limites » qu’il ne connaît pas, car jamais clairement explicitées, et se fait donc « recadrer » alors même qu’il n’y a pas de cadre…

La seconde consiste à avoir un double courage : celui de poser un cadre de travail et de l’assumer… Autrement dit cette posture managériale consiste à mettre du sens sur des règles et des limites (en effet, que vaut et comment s’argumentent des règles qui ne font pas sens ?) et à savoir les porter et les faire vivre

Ce que l’on perd trop facilement de vue, c’est qu’un cadre de travail offre de la sécurité à chacun en rendant visibles ce qui interdit et ce qui est permis. Imaginez-vous en train de conduire une voiture dans un espace sans code de la route… Ou jouer à un jeu sans règle… Seul un cadre permet de vivre au quotidien l’autonomie et la responsabilité…

Un cadre et des règles, c’est sortir de la loi du plus fort : humanité ou barbarie ?

La question des limites et des interdits pose fondamentalement la question de la relation humaine… En effet, sans règle ni cadre, la seule règle qui vaut est celle du rapport de force, et donc, de manière très claire une question : la seule loi qui vaille est-elle la LOI DU PLUS FORT ? Le revers très étonnant vient du fait que ceux et celles qui refusent de poser et définir des règles entre les humains sous couvert d’arguments évoqués plus haut, sont en fait, et alors même qu’ils s’en défendent… Les premiers porteurs de la barbarie relationnelle… Derrière les palabres et les fausses et pseudo argumentation, la seule question de fond sur ce sujet est bien celle-ci : Humanité ou barbarie ? Et c’est ici, bien souvent, que les « humanistes » désirant préserver la liberté, l’autonomie de chacun, crée un espace porteur des pires dérives autoritaires…

La violence, quelle qu’elle soit, trouve sa réponse dans une pacification des positions par leur verbalisation et non leur expression brutale…

Qui porte les règles ?

La question est ici essentielle, car elle est souvent au cœur des débats. Les défenseurs de l’absence de cadre mettent précisément en avant le caractère arbitraire des règles, portées par une personne ou une organisation. Oui les règles peuvent être posées par UN individu si celles-ci font sens pour le collectif. Autrement dit, la vraie question n’est peut-être pas forcément de savoir comment les règles sont élaborées et qui les porte, mais de savoir si elles visent une régulation « équitable » (plus ou moins).

En résumé, au lieu de se fourvoyer dans un débat sur le « qui porte » les règles, il est essentiel de se concentrer sur la visée de ce cadre, son objectif, et notamment dans la régulation du collectif.

Comment faire pour mettre en place des règles ?

Les méthodes sont multiples dans le domaine de l’entreprise : partant de l’approche consistant pour le manager à  les définir seul, en passant par une formalisation collective et ouverte à des approches mixant les rôle de chaque acteur de l’entreprise. L’essentiel dans la méthode, outre le fait de sa lisibilité de mise en œuvre, c’est de faire sens et de trouver l’équilibre entre ce qui est négociable et non négociable dans les 4 dimensions citées en début d’article (objectifs, missions individuelles, organisation collective et comportements). Enfin, et pour insister sur la dimension du sens, il est crucial de pouvoir partager la visée des règles, autrement dit de savoir pourquoi elles existent, et pourquoi ces règles et pas d’autres.

Pour conclure : les règles ou la dépersonnalisation des conflits

Il apparaissait essentiel aujourd'hui de dépasser les idées reçues et réactions épidermiques liées à la question des règles et du cadre, et de mettre en avant un élément clef : ceux qui prétendent défendre la liberté et la créativité en seront les premiers contempteurs et fossoyeurs. L'absence de règles conduit nécessairement à réaffirmer la loi du plus fort, et le règlement des différents par des conflits plus ou moins violents.

Mais le point le plus important, c'est que la mise en place de règle et d'un cadre qui fait sens permet à tous ceux qui sont amenés, à un moment ou à un autre, de le faire respecter ou de le redéfinir, de le faire avec une réelle sérénité. Car il ne s'agit pas du fait du Prince, mais d'une médiation, d'un consensus partagé qui permet de dialoguer, de se parler, de donner du sens aux relations humaines au sein d'un collectif. Autrement dit, les règles sont la seule voie qui permettent aux managers et dirigeants de sortir des conflits de personnes... A méditer...

Sophie Girard & Jean-Olivier Allègre

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