Éloge de la Bienfacture

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Bien faire son métier, réaliser un bel ouvrage, avoir une conscience professionnelle. Toutes ces expressions semblent dater d'un temps passé et dépassé. Dans le temps du culte de la  productivité, de l'efficacité, voire du "vite fait bien fait", faire, ici l'éloge de la Bienfacture nous ferait presque passer pour des "vieux cons" menant un combat d'arrière-garde en défendant le bel ouvrage… Et si c'était l'inverse ?..

 

 

UN "JOB" OU UN MÉTIER ?

 

La question n'est pas que sémantique; on nous objectera "job" et métier, c'est pareil! Nous faisons non seulement le pari que c'est (très) différent, mais, précisément que nous observons, au quotidien la différence entre ceux qui "font un job" et ceux qui pratiquent un métier.

 

Une question de PROFONDEUR du métier. Un job, c'est comme un métier qui peut se faire sans savoir et savoir-faire pourrait-on dire de manière ironique… Autrement dit, un job c'est tout le contraire d'un métier. N'importe qui peut faire un job; par contre pour exercer un métier, il faut avoir appris, il faut savoir (théoriquement) et il faut savoir-faire (pratiquement). La presse spécialisée nous parle beaucoup aujourd'hui "des bullshit jobs" (il faut toujours dire les choses en anglais, c'est plus classe) que l'on peut traduire en français par "emplois de merde" ou "emploi à la con". Demain, nous ne savons pas exercer un seul des métiers chez nos clients, car il nous faudrait opérer une reconversion, un apprentissage et acquérir savoir et savoir-faire pour maîtriser, petit à petit, les tâches, les gestes, les méthodes, les process, etc... Par contre, je peux tout de suite faire un "bullshit job" car il n'y a que trois ou quatre basiques à connaître. Par exemple si je dois distribuer des prospectus pour une boutique dans la rue, je dois 1° savoir mettre la casquette et le tee-shirt avec la marque de la boutique, 2° prendre le tas de prospectus et 3° les distribuer en disant "vous en voulez ?". L'avantage majeur du bullshit job c'est qu'il s'apprend vite car, précisément il n'y a rien à apprendre et donc l'inconvénient majeur c'est que j'ai fait le "tour du job" en 15 minutes… Rien à voir donc avec un métier qui demandera patience, rigueur et endurance pour maîtriser, un par un les basiques, puis les gestes de maîtrise, progresser vers la dimension professionnelle et peut-être, peut-être atteindre l'expertise… Parfois une vie n'y suffit pas… Mais nous aurons l'occasion d'y revenir dans un monde qui survalorise le "tout tout de suite" même si ça ne vaut rien et que cela ne mène à rien…

 

Une question de RAPPORT au TRAVAIL. Pour exercer un MÉTIER, il ne faut pas considérer son travail (et le travail en général) comme une torture, ni comme un gagne-pain (autrement dit quelque chose que l'on fait juste contre une rémunération). Entrer dans le registre de la bienfacture demande de vivre son travail comme une possibilité de réalisation de soi au quotidien on relira avec intérêt notre article "manager le travail" qui abordait précisément ces distinctions). On exerce un métier à partir du moment où l'on sait et l'on sent qu'en se confrontant à ce qui nous résiste (matière, problèmes, organisation, etc…) on grandit, et que l'épreuve du métier est de celle qui nous construit… Cette "résistance" n'est pas (et de loin!) nécessairement négative : elle est "naturelle" et nécessaire; tout comme lorsque je cours, je sens la "résistance" de l'air. Sans "résistance" (positive) nous ne grandissons jamais… D'où les caprices répétés des Narcisses Immatures™ qui ne supportent aucune frustration ni "résistance"…

 

 

PERSÉVÉRER ET S'INSCRIRE DANS LA DURÉE

 

La bienfacture est un rapport au temps. Bien faire quelque chose est une PROJECTION DANS LE TEMPS et à double titre. Tout d'abord dans le temps qu'il faudra pour bien faire ce que l'on a à faire. Ici s'entrechoque la course à une certaine rentabilité à court-terme qui ne verra que le temps d'exécution des tâches sans prendre en compte le temps (perdu) supplémentaire des aller et retours dus à la non qualité, que ce soit en interne ou avec les clients. La bienfacture, dans ce rapport au temps, nous apporte une double satisfaction, une double gratification : non seulement celle du "travail bien fait", du "devoir accompli", mais aussi de la "performance", c'est-à-dire notre capacité (individuelle ou collective) à atteindre un objectif, à concrétiser un résultat.

Mais ensuite et surtout la Bienfacture inscrit la notion de DURÉE, de DURABILITÉ (comme l'on dit aujourd'hui) en réalisant quelque chose qui va s'inscrire dans le temps et la durée loin du "vite fait bien fait", voire du "vite fait mal fait mais fait quand même". La bienfacture est un rapport, une relation à l'à-venir. J'inscris ce que je réalise dans l'avenir, dans un futur peut-être plus lointain que je ne l'imaginais. La bienfacture n'est pas de l'ordre du jetable…

 

 

BIENFACTURE ET RAPPORT À LA RESPONSABILITÉ

 

Pourquoi parler, ici de responsabilité? Pour une raison simple et souvent oubliée : la bienfacture a profondément à voir avec la responsabilité. Rappelons très brièvement de quoi il retourne dans la responsabilité. 

Nous ferons court, car ce n'est pas le sujet ici, mais la RESPONSABILITÉ fait appel à ce que nous appelons, au sein de Parrhèsia, la DYNAMIQUE DU TRIPLE A. Mais qu'est-ce que le triple A? C'est ce qui définit, dans sa globalité la RESPONSABILITÉ dans ces 3 MOMENTS DÉCISIFS ET INSÉPARABLES : 

1° ANTICIPER : visualiser, prévoir les conséquences prévisibles de ses actions. Ce qui signifie qu'être responsable consiste, avant de s'engager dans l'action à prendre le temps de dire "oui" ou "non", de prendre le temps avant de s'engager.

2° AGIR : il n'est de responsabilité sans une décision qui se concrétise en action, c'est-à-dire en mise en œuvre de sa décision.

3° ASSUMER : dans le temps 1 j'ai essayé d'anticiper au mieux les conséquences prévisibles de mon action, mais le temps 3 c'est d'assumer non seulement tout ce qui s'est bien passé, mais aussi les éventuels "effets secondaires non prévus et indésirables" de mon action.

C'est bel et bien la TOTALITÉ DU TRIPLE A qui fait la RÉELLE RESPONSABILITÉ. Et ici, sans cette exigence vis-à-vis de soi, il n'est aucune BIENFACTURE possible. Car la bienfacture n'est pas forcément une partie de plaisir ou un long fleuve tranquille. Non ! Pendant le temps de réalisation de ma tâche, de mon opération, de mon travail, de nombreux éléments ont pu surgir pour venir perturber ma concentration et mon envie de bien faire. Le tenant de la bienfacture ne se défausse pas; précisément il fait face pour réaliser de la meilleure manière ce qu'il a à faire. Il ne se réfugie pas dans la logique victimaire des" Calimero" qui ont toujours des excuses à ce qu'ils ne sont pas parvenus à (bien) faire…

 

 

LA PASSION DANS ET PAR LE METIER

 

La bienfacture est le signe de personnes passionnées par leurs métiers; de ces personnes qui n'ont jamais "fait le tour" de la question et du métier. Ils savent que la profondeur du métier est liée non seulement à la MAITRISE TECHNIQUE mais aussi à la MOTIVATION et au SENS que l'on place dans ce que l'on fait. Les tenants de la bienfacture savent que le diable se cache dans les détails, et que, sens et passion donnent aussi ce sens du détail qui fera, à la fin, toute la différence entre une action "finie" et une belle action bien accomplie.

 

 

BIENFACTURE, LA RELATION AU CORPS ET À L'ESPRIT

 

Nulle mystique ici, mais un constat que nous pouvons faire depuis plus de 20 ans. Les personnes pratiquant la bienfacture sont concernées "corps et âme" dans leur métier et dans leurs réalisations. Que ce soit l'accomplissement d'une pièce artisanale ou industrielle, d'une tâche, d'un service, d'une relation de service ou commerciale, cette implication "totale" est une des conditions de la bienfacture. Il n'est pas possible d'avoir "la tête ailleurs" ou de ne pas pratiquer le "geste juste" pour pratiquer la bienfacture. Les stages de "développement personnel", de "méditation" vous parlent si souvent "d'être là, ici et maintenant" dans cette dynamique de pleine présence à soi, à son environnement et à ce que l'on fait. On appelle aussi cela la "pleine conscience"… Pas besoin de maître Yogi pour les pratiquants de la bienfacture, ils savent et sentent que sans cette concentration et cette unité du corps et de l'esprit nous serons dans le "nif-naf" (ni fait ni à faire) et l'à-peu-près, mais jamais dans le bienfaire et le bienfait…

 

 

LA BIENFACTURE COMME RÉALISATION DE SOI

 

Il ne s'agit pas, ici de réécrire l'article cité plus haut sur le rapport au travail, mais de rappeler que cette dimension est essentielle pour bien faire ce que j'ai à faire. Quand je considère que ce que je fais au quotidien me permet de devenir qui je suis, alors cette fameuse "pleine présence" dont nous parlions dans le paragraphe précédent est une évidence et elle est vécue comme ayant du sens, et comme le fait que ce que je réalise a du sens.

 

 

LE REGARD PORTÉ PAR LE MANAGER ET LE MANAGEMENT 

 

Nous faisons ici le croisement avec nos propos initiaux. Certes la bienfacture est un état d'esprit personnel, intime de celui ou celle qui pratique son métier. MAIS… le regard porté par les managers a aussi un impact non négligeable. Si, en tant que manager, je pense qu'un métier est "bullshit job", un "métier à la con", un "métier de merde", ou si l'entreprise dévalorise certains métiers, alors oui, la bienfacture ne sera jamais atteinte. Je peux être mu par ma conscience professionnelle et mon envie de bien faire; mais si, au quotidien mon entreprise, mon manager et le management génèrent un climat délétère et dénigrant, une organisation dépourvue de sens et infantilisante, alors oui… la bienfacture va être mise à rude épreuve, voire même être amenée à disparaître… C'est un secret de polichinelle que de savoir que, dans de tels contextes, les premières personnes à partir de l'entreprise… sont les meilleures…

Mais, si les managers ont une capacité à briser l'esprit de la bienfacture, ils ont aussi le pouvoir de transmettre cet état d'esprit aux personnes qui ne l'ont pas encore. Pour cela il faut savoir : donner du sens au métier, aux tâches effectuées. Il faut également être capable de parler positivement des différents métiers, de leur importance. Savoir mettre en avant l'importance de la belle réalisation, de la qualité du geste, de la tâche, etc… Nous savons qu'il existe ici des gisements de motivation, d'implication qui permettraient à tant de personnes de retrouver de la FIERTÉ à leur TRAVAIL… Mais pour cela, le management doit s'impliquer, et ceci à tous les étages!

 

 

BIENFACTURE ET RECONNAISSANCE

 

Nous avions, avant la crise sanitaire, publié un article qui avait… fait du bruit et qui s'intitulait "Le monde à l'envers" dans lequel nous posions quelques questions (im)pertinentes sur les systèmes de "valorisation" actuels… Mais la question de la reconnaissance reste une pierre angulaire de la bienfacture. En effet, quelle reconnaissance est apportée aux personnes qui, jour après jour, et dans les conditions difficiles continuent à produire et à réaliser des éléments de qualité?.. Ne négligeons pas cette dimension tant elle est importante, dans la durée pour la question de la motivation et de l'implication, et aussi du sens de "bien faire les choses"…

 

 

BIENFACTURE ET PILIER DU MÉTIER

 

Terminons cet article sur l'un de nos chevaux de bataille depuis plus de 10 ans… les PILIERS DU MÉTIER… De quoi parlons-nous ici ? Faisons court et simple : dans le cycle d'apprentissage d'un métier (nous caricaturons et simplifions volontairement le schéma sur lequel nous travaillons en formation, mais nous privilégierons ici la dimension pédagogique à la précision, quitte à publier un article spécifique sur le sujet tant il est… d'importance). Bref… un cycle d'apprentissage c'est un stade d'IGNORANCE dans lequel je ne sais rien faire. Un stade de DÉBUTANT par lequel j'acquiers les fondamentaux du métier. Un stade de MAITRISE qui me permet d'avoir plus de savoir et de savoir-faire pour faire face à 80% des situations. Et… avant le stade EXPERT (que nous ne traiterons pas ici), le stade PROFESSIONNEL. Le professionnel EST LE PILIER DU MÉTIER; c'est, dans votre équipe LA personne qui non seulement a plus de savoir et de savoir-faire que ses collègues débutants et maîtrise, mais qui possède l'EXPÉRIENCE pour être à même de faire face et de savoir traiter avec brio et bienfacture 100% des situations qui se présentent à elle! Rien que cela? OUI! Le PILIER DU MÉTIER, c'est la personne grâce à laquelle votre équipe est CAPABLE DE PERFORMANCE STABILISÉE DANS LE TEMPS!  Mais alors, nous direz-vous, est-ce que cela signifie que si, dans mon équipe, je n'ai PAS DE PILIER DU MÉTIER, NOUS SOMMES INCAPABLES DE PERFORMANCE STABILISÉE ET DURABLE???? OUI et MILLE FOIS OUI! Tous les managers dont les équipes sont dépourvues de "professionnels" tels que nous en parlons ici pleurent tous les jours sur la performance perdue; car ils savent que tant qu'ils n'auront pas retrouvé de telles personnes… la performance fera les montagnes russes du haut en bas, du très bas et du très haut, parfois des miracles et souvent du grand n'importe quoi, car sans professionnel, rien n'est maîtrisé…

Mais la question qui tue, c'est : quand vous avez eu, dans vos équipes, des PROFESSIONNELS, des PILIERS DU MÉTIER… Comment les avez-vous considérés?... Quelle reconnaissance?... Quelle gratitude?... Quelle valorisation de ces personnes qui, jour après jour atteignaient la performance et réalisaient la bienfacture dans toutes les conditions?.. Si vous les avez oubliés, ils ne sont certainement plus là… et avouez… que c'est quand même idiot de courir après une performance que l'on ne rattrape pas, parce que l'on a perdu le "COMMENT BIEN FAIRE"…

 

Sophie Girard & Jean-Olivier Allègre

  

Tags
bienfacture, passion, métier, perfection

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